Alors que nous sommes tous conscients de l’importance de prendre du recul pour garder la tête froide et mieux faire face aux défis auxquels nous sommes confrontés, il nous est très difficile de le faire aussi souvent que nous le souhaiterions/devrions. Et ce n’est pas qu’une question de temps disponible…
Les trois raisons principales de la difficulté à prendre du recul sont que :
- Nous fonctionnons en pilotage automatique bien plus souvent que nous le croyons et nous ne pensons même pas à marquer un temps d’arrêt.
- Sous le coup d’une émotion, nous perdons notre capacité à prendre ce recul nécessaire.
- Même lorsque nous faisons l’effort conscient de réfléchir à une situation, une multitude de biais cognitifs viennent altérer nos perceptions et nous empêchent de voir autrement.
Les limites du pilotage automatique…
Comme le décrit Daniel Kahneman*, notre cerveau dispose de deux modes de fonctionnement.
Le premier, « Système 1 », est notre mode automatique. Il est rapide, intuitif et émotionnel. C’est lui qui nous permet de conduire une voiture ou de gérer les situations connues avec aisance et fluidité. Il s’enrichit continuellement avec nos expériences et le résultat de nos apprentissages.
Le second, « Système 2 », est notre mode conscient. Il est plus réfléchi, plus contrôlé et plus logique. C’est lui qui est aux commandes lorsqu’on pense activement à un projet ou lorsqu’on est en mode d’apprentissage.
Le mode conscient utilise notre cortex préfrontal pour traiter les sujets de manière séquentielle, il est plus lent et très consommateur d’énergie. Le mode automatique s’appuie sur une autre partie de notre cerveau (les noyaux gris centraux, sièges de nos savoir-faire acquis) pour gérer inconsciemment et en parallèle une multitude de tâches en consommant un minimum d’énergie.
Comme la nature est vraiment bien faite, notre cerveau fonctionne par défaut en mode « Système 1 » et ne bascule en mode « Système 2 » que lorsque la situation requière un niveau d’attention plus poussée.
Sauf que, notre cerveau a tendance à ne prendre en compte que les informations qui lui sont immédiatement accessibles (« Ce qu’On Voit et Rien d’Autre » / COVERA). Et si ces informations lui semblent cohérentes et/ou correspondent à ce qu’il s’attend à voir, il continuera à fonctionner en mode automatique.
On ne voit que la partie émergée de l’iceberg et si nous n’avons pas vu Titanic, nous n’allons pas spontanément voir ce qui se passe sous l’eau…
Nous verrons plus loin comment donner un petit coup de pouce à notre cerveau pour l’aider à basculer en mode « Système 2 » lorsqu’il le faut.
L’impact des émotions…
Nous avons tous, dans une certaine mesure, la capacité de réguler nos émotions et de faire la part des choses (Et c’est encore notre cortex préfrontal qui permet de le faire !).
Pour autant lorsque l’émotion devient trop forte (qu’elle soit positive ou négative), elle vient inhiber le fonctionnement de la partie « raisonneuse » de notre cortex préfrontal et nous perdons alors littéralement notre capacité à prendre du recul.
Nous n’avons alors pas d’autre choix que de laisser la pression retomber. Verbaliser ce qu’on ressent (mettre en mots) dans ces moments-là est une technique très efficace pour apaiser le stress.
Nous pouvons aussi (avant que l’émotion nous submerge !) recadrer la situation. C’est-à-dire lui donner un autre sens moins chargée émotionnellement.
Des décisions moins rationnelles que nous le pensons…
Enfin, notre cortex préfrontal ne peut gérer consciemment que 3 ou 4 éléments à la fois. Et de plus, la sélection de ces informations est influencée inconsciemment par des biais cognitifs (sortes de filtres déformants) qui altèrent notre perception de la réalité.
Par exemple :
- Le biais de disponibilité fait en sorte que nous privilégions les informations les plus accessibles pour le cerveau. Nous retenons les plus récentes ou celles qui sont le plus chargées émotionnellement et pas forcément celles qui sont les plus pertinentes.
- Le biais de confirmation va avoir tendance à nous faire sélectionner les informations qui confirment nos opinions ou nos théories et négliger les autres.
Nous pouvons même « tordre la réalité » et déformer les faits pour qu’ils cadrent avec notre vision du monde. Et nous avons encore plus tendance à faire cela lorsque notre statut (la façon dont nous sommes perçus et reconnus) est en jeu…
Tous ces biais se cumulent et nous empêchent de voir la réalité telle qu’elle est ou d’imaginer d’autres options.
Alors que pouvons-nous faire ?
Développer notre capacité à prendre du recul signifie réussir à basculer du « système 1 » au « système 2 » lorsque c’est nécessaire et à s’affranchir dans la mesure du possible des biais cognitifs qui polluent nos réflexions.
Nous disposons de plusieurs leviers simples pour le faire :
- – Développer la présence à soi (écoute de son corps et de son ressenti) et à l’environnement (prises en compte des signaux faibles). Notre cerveau dispose depuis toujours d’une véritable tour de contrôle qui scrute en permanence l’environnement pour mieux déceler d’éventuelles opportunités ou menaces. Il nous suffit juste d’y prêter attention et de les prendre en compte si cela est pertinent.
- – Développer les échanges avec un (des) tiers. Le simple fait d’échanger nous fait basculer dans le mode conscient. La multiplication des points de vue permet de faire émerger des informations nouvelles. Il faut toutefois veiller à ce que ces échanges se fassent dans un climat de confiance pour que chacun puisse s’exprimer sans crainte d’être jugé.
- – Organiser délibérément et au préalable des moments pour prendre du recul. Attention, il ne s’agit pas d’un point d’avancement pour passer en revue une batterie d’indicateurs mais de revisiter la situation avec une posture de découverte.
Nous pouvons aussi mettre à profit ce double fonctionnement de notre cerveau en alternant volontairement les modes :
- – Un temps conscient pour collecter de l’information, explorer la situation sous différents angles et structurer l’ensemble des éléments en quelques points clefs ou en options de solution.
- – Laisser un temps de maturation pour laisser notre inconscient digérer tous ces éléments (C’est le vieil adage « la nuit porte conseil »).
- – Et à nouveau un temps conscient pour finaliser ou reconnaitre la décision.
Et voilà, savoir prendre du recul n’est peut-être finalement que savoir équilibrer notre réflexion rationnelle et notre intuition…
Pour en savoir plus :
*Daniel Kahneman, « Système 1 / Système 2 : Les deux vitesses de la pensée »